Controverses du XIXème siècle
sur la «Propriété Intellectuelle»

 

A.-M. Jobard «Défense du monautopole», Journal des Economistes, décembre 1854.

Origine : Bibliothèque Nationale de France

Comme son titre l'indique, cette lettre de Jobard est plus une défense générale du principe du monautopole qu'une réponse argumentée et détaillée à l'article de novembre 1854 de Frédéric Passy[1]. Jobard y reprend ces arguments habituels [2], protestant qu'il ne réclame pas la «propriété de l'intelligence même, de l'idée pure, de l'idée métaphysique...», mais simplement des «idées matérialisées». Il évoque alors directement tous les adversaires de la «propriété des inventions», ou de la «propriété intellectuelle», qu'il a rencontré constamment sur son chemin depuis sa borchure de 1843 «Création de la propriété intellectuelle», c'est-à-dire tous ceux qui s'inspirent peu ou prou des thèses de Augustin-Charles Renouard. Comme il le dit lui-même, «réfuter Passy, c'est réfuter M. Tielmans, car l'attaque du second est la paraphrase de l'écrit du premier qui n'avait fait lui-même que paraphraser M. Renouard», une phrase qui demande quelques éléments d'explications.

En effet, la polémique qui s'engage en cette fin d'année 1854 sur le monautopole dans les colonnes du Journal des Economistes[3] a pour réelle origine le vote en Belgique d'une nouvelle loi des brevets d'invention le 24 mai 1854. Lors de ce vote, les partisans et adversaires du monautopole s'affrontèrent directement; et X Tielemans, jurisconsulte belge et , reprenant les thèses de Renouard, bloqua l'adoption du projet inspiré par Jobard [4]. La loi finalement votée conserva donc le principe d'un droit limité, temporaire et non perpétuel, la durée de la protection étant cependant portée à vingt ans (contre 15 ans au plus pour la loi antérieure datant de 1817), ce qui en faisait la durée la plus longue d'Europe. Pour les partisans du monautopole, c'était l'exemple à suivre. C'est le sens de l'article d'Alloury dans le Journal des Débats (19 et 28 août 1854). C'est aussi ce qui explique que le projet de loi «rédigé d'après les principes du monautopole» que Jobard met en annexe de cet article, est présenté par Alloury un peu plus tard et toujours dans le Journal des Débats (15 octobre 1855), comme «le plus court, le plus complet et le plus libéral qu'il soit»; et présenté par ailleurs dans Le Génie Industriel comme le projet en discussion pour la future loi du Piémont[5]. Mais les adversaires de la propriété des inventions n'étaient pas plus inactifs au royaume du Piémont qu'ailleurs, et Renouard pouvait ainsi citer le rapporteur du projet de la loi, M. Michelini, pour qui le monautopole serait «la confiscation de ce qui était déjà le patrimoine commun de tous. Ce serait chose intolérable que de voir l'industrie toute entière découpée en un nombre infini de petits monopoleurs dont chacun exercerait à perpétuité sa petite invention : un tel système ne servirait assurément pas le progrès.» (in Renouard, «Lois nouvelles sur les inventions...», Journal des Economistes, octobre-décembre 1854, p. 34-43).

Pierre-André Mangolte

----------------------------------------

[1]  La réponse argumentée sera le fait de Gustave de Molinari «La propriété des inventions» (1854), que Jobard cite en tête de son article et présente comme «un des premiers partisans du monautopole».

[2]  Voir «Création de la propriété intellectuelle», 1843, et «Nouvelle économie sociale ou monauto-pole industriel, artistique, commercial et littéraire», 1844; et ...

[3]  Avec comme articles principaux : l'article de Passy «Sur les objections que soulève le théorie du monautopole» (novembre 1854), la réponse de Jobard (cet article), l'article de Molinari «La propriété des inventions» (juillet-septembre 1855), la réponse de Passy à Molinari «Questions de la propriété des inventions» (octobre-décembre 1855),avec la réplique de Molinari à Passy, qui clot cette polémique. Parallèlement, de janvier 1855 à mars 1855, une autre discussion opposait Jobard et Joseph Garnier dans le même journal sur la concurrence.

[4]  Tielemans (voir bio); référence : «De la propriété industrielle», Revue Trimestrielle (Bruxelles), tome III, 1854, p. 5.

[5]  Génie industriel, vol 8, 47ème numéro, novembre 1854, p. 253-254.