Ambroise-Marcellin (ou Jean-Baptiste-Ambroise-Marcellin) JOBARD
Né à Baissey (Haute-Marne) dans une famille de huit enfants en 1792.
Son père était cultivateur et roulier. Une de ses tantes, religieuse, fut guillotinée pendant la Révolution, et son oncle paternel, prénommé Jean-Baptiste, un prêtre émigré échappa lui aussi de justesse à la guillotine; et Ambroise-Marcellin devait plus tard adjoindre à ses prénoms ceux de son oncle.
Après des études secondaires à Langres et Dijon, Ambroise-Marcellin Jobard entre en 1811 dans l'administration du cadastre, est envoyé à Groningue en qualité de géomètre, puis à Maastricht, à partir de 1815. Il obtient alors du roi Guillaume des lettres de grande naturalisation. En 1817, il donne sa démission et s'installe à Bruxelles, où il travaille dans un établissement lithographique, qui met en oeuvre l'invention récente d'Aloys Senefelder[1]. Cette activité le met en contact avec de nombreux savants et l'introduit dans la bonne société bruxelloise. Il fonde ensuite son propre atelier lithographique, qui est bientôt le plus important en Belgique, un atelier renommé, qui remporte d'ailleurs en 1828 la médaille d'or de la Société d'Encouragement pour l'Industrie nationale de Paris.
La révolution belge de 1830 l'ayant ruiné, il change alors ses activités, et se met à traiter dans la presse de questions sociales et industrielles. Il prend aussi un brevet pour un procédé de forage qu'il envisage d'exploiter avec Adolphe Quetelet. C'est alors un propagandiste des idées saint-simoniennes. Il est d'ailleurs passionné par le changement technique et l'invention depuis longtemps, et sa thèse favorite est déjà en faveur de la propriété intellectuelle des inventeurs[2].
Après avoir collaboré à la Revue des Revues, il acquière en 1837 la propriété du Courrier Belge et du Fanal de l'industrie, où il se fait le promoteur de l'industrie, des inventions et des découvertes. Il fait partie en 1832 d'une société qui cherche à construire des voitures à vapeur et milite pour la construction de chemins de fer en Belgique.
En 1839, il est nommé commissaire du gouvernement belge à l'exposition des arts industriels de Paris; et en 1841, à l'âge de 50 ans, conservateur du Musée de l'Industrie de Bruxelles. Fondé sur un projet qu'il a lui même conçu, en prenant comme modèle le Conservatoire des Arts et Métiers de Paris, ce Musée Royal de l'Industrie deviendra un des grands musées techniques de l'époque; et malheureusement, les collections réunies seront dispersées après la mort de Jobard. Celui-ci édite aussi un Bulletin du Musée de l'Industrie, qui touche un large public, belge et étranger. Il est aussi contrôleur au département des finances.
Directeur du Musée Royal de l’Industrie belge, Jobard est alors chevalier de la Légion d’honneur et de François 1er de Naples, et membre d'un grand nombre de sociétés savantes.
C'est aussi un inventeur, qui a déposé plus de soixante quinze brevets dans des domaines aussi variés que l'armement, le chauffage, l'acoustique, l'alimentation, la locomotion (pour un chemin de fer électro-pneumatique), etc. On lui attribuent également d'autres inventions, comme les omnibus sous-marins, la gravure sur diamant, la fabrication du papier à partir du fumier, la lampe du pauvre «qui éclairait, chauffait, et au besoin cuisinait», un fusil à quatorze coups (1826), la «plume intarissable» avec une ampoule en caoutchouc contenant l’encre, ou encore le «gaz à l’eau» dont il éclairait sa maison en 1834, invitant l'académie à venir constater elle-même la puissance de la lumière.
Sur le plan politique, il est hostile au libéralisme, à la libre concurrence et au libre-échange, comme au socialisme. C'est un esprit profondément conservateur, qui se fait l'ardent défenseur d'un principe de «propriété intellectuelle» pleine et entière. Dès 1837, il écrit et publie De la propriété de la pensée; puis propose en 1843, dans sa brochure Création de la propriété intellectuelle, de créer cette propriété sur le modèle de la propriété foncière, une propriété perpétuelle et transmissible par héritage. Suivent la Nouvelle économie sociale, ou Monautopole industriel, artistique, commercial et littéraire, fondé sur la pérennité des brevets d'invention, dessins, modèles et marques de fabrique (1844)[2], l'Organon de la propriété intellectuelle (1851), Les nouvelles inventions aux Expositions universelles, 2 volumes, 1857[3]. Un grand nombre de brochures, tracts, saynètes[4], répétent les mêmes idées, les mêmes arguments, les mêmes thèmes en faveur de la propriété des inventeurs, des auteurs, mais aussi des commerçants, car sa définition de la propriété intellectuelle s'étend aussi aux marques, aux enseignes, aux raisons sociales, aux clientèles, etc. Dans la première moitié du XIXème siècle, Jobard est ainsi une des figures de référence dans toutes les controverses sur les brevets d'invention et les droits d'auteur.
A la fin de sa vie, sa raison sombre dans le spiritisme[5]; et il meurt à Bruxelles, assez vite oublié, en 1861.
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[1] Il imprime en particulier à partir de 1819 les planches des Annales générales des Sciences physiques dans l'établissement fondé à Bruxelles par le français Duval de Mercourt, qui, mauvais gestionnaire, abandonne assez vite cette activité; et jusqu'en 1821, c'est Jobard qui prend la suite. Cf. Marie-Christine Claes, «Marcellin Jobard, un visionnaire dévoré d'ambition humanitaire», Science Connection, n° 20, février 2008.
[2] Voir les archives et la notice de présentation pour Création de la propriété intellectuelle (1843) et pour le Monautopole (1844).
[3] Disponible sur Gallica : Les grandes inventions, volume 1 (1857), et volume 2 (1858).
[4] Voir en particulier : La Force, le capital et le droit, drame industriel, précédé d'une lettre à M. Wollowski sur la propriété intellectuelle...
[5] Pour reprendre l'expression de Marie-Christine Claes, op.cit.
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Sources : Hoefer, Nouvelle biographie générale, 1852; Siret, Biographie nationale de Belgique, Vol X, B, 1888-1889;«Jobard», Biographies et généalogies haut-marnaises; Claes, «Marcellin Jobard, un visionnaire dévoré d'ambition humanitaire», Science Connection, n° 20, février 2008.