Controverses du XIXème siècle
sur la «Propriété Intellectuelle»

 

Antoine-Benoît Vigarosy, 1829, «Considérations et opinion sur cette question : continuera-t-on de délivrer, pour les inventions industrielles, des titres qui, sous la dénomination de brevets, conféreront le droit privatif d'exploiter ces inventions pendant un temps déterminé ?», Impr. de G.-P. Labadie, Castelnaudary.

Origine : Bibliothèque Nationale de France

Cette brochure a été écrite pour répondre à l'enquête générale sur les brevets d'invention lancée par le comte de Saint-Cricq, Ministre de l'Intérieur de Charles X en mars 1829, dans le cadre d'une préparation de la réforme de la législation existante. Le questionnaire était destiné aux chambres de commerce (16 réponses), aux chambres consultatives des manufactures (2 réponses), aux tribunaux de commerce (2 réponses), aux conseils des prud'hommes (8 réponses), aux académies (21 réponses). Vingt-cinq particuliers envoyèrent aussi une réponse, dont Antoine-Benoît Vigarosy, ancien capitaine d'état-major[1]. La révolution de 1830 devait interrompre le processus, mais une synthèse des réponses au questionnaire fut cependant publiée en 1831 dans le «Recueil Industriel»[2].

Dans cette enquête, la question préliminaire portait sur le maintien ou non du système des brevets[3] : «Continuera-t-on de délivrer, pour les inventions industrielles, des titres qui, sous la dénomination de brevets, conféreront le droit privatif d'exploiter ces inventions pendant un temps déterminé ?». Vigarosy répondit par la négative, en jugeant que le principe qui consacrait la propriété des inventions industrielles était «faux et injuste» et que le privilège établi sur ce principe était «plus funeste qu'utile». Dans la synthèse de 1831, la contribution de Vigarosy est jugée comme celle «qui a traité la question préliminaire avec le plus d'étendue», y compris parmi celles, peu nombreuses, qui de la même manière se prononçaient pour la suppression des brevets[4].

Dans une forme très littéraire, Vigarosy développe la même argumentation que Renouard, dont il cite assez largement et de manière détaillée, le Traité des Brevets d'Invention de 1825[5]. Le principe de la propriété des inventeurs sur leurs inventions, affirmé par de Boufflers et l'Assemblée Constituante en 1791 est faux et injuste. Les pensées, les idées, les inventions nouvelles ne peuvent être la propriété d'un seul inventeur. Elles appartiennent au contraire à tous. Il y a là un capital hérité, un fonds qui est commun à tous, dont chacun peut disposer à sa guise, mais seulement pour le compte de tous, car chaque inventeur est en dette vis-à-vis des autres. Le secret pour une invention est même, pour Vigarosy, une violation coupable de ces obligations imposées à toutes les intelligences pour l'usage des idées et des inventions plus anciennes.

L'intérêt du texte est de montrer qu'à partir de la même construction théorique, celle de Renouard, on peut conclure en faveur des législations existantes, en faveur d'un doit de jouissance exclusive temporaire, afin de récompenser les inventeurs et de les inciter à dévoiler leurs inventions, ou conclure pour la suppression pur et simple du système des brevets, comme le fait Vigarosy, par hostilité aux privilèges, aux corporations et aux monopoles, dont les conséquences sont, pour lui, le ralentissement dans la diffusion des connaissances, un frein à l'activité des autres inventeurs, des prix élevés, des tromperies, de la charlatanerie et des fraudes en absence d'examen, de la concurrence déloyale, etc.

Comme la seule récompense que demandent réellement les inventeurs est simplement, affirme Vigarosy, d'être distingué parmi leurs pairs, autrement dit, un peu de célébrité, de renommée, de gloire enfin, l'auteur propose de remplacer le privilège exclusif d'exploitation par un système de récompenses plus honorifiques que trébuchantes, avec la création d'une Académie des Arts Industriels et d'un Ordre du Mérite Industriel ou de Saint-Charles, comprenant trois classes (et trois types de médailles). L'Académie jugerait alors du mérite respectif des différentes inventions, et chaque inventeur reconnu deviendrait membre de l'Ordre, avec parallèlement une publication organisée des différentes inventions (au moyen d'un journal, etc.), ceci afin d'en assurer la diffusion la plus large, en évitant tout monopole et toute entrave au travail d'autrui. Toutes les décisions de l'Académie pourraient d'ailleurs être contestées en appel...

Pierre-André Mangolte

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[1]  Voir sa fiche biographique.

[2]  Voir l'archive : «Recueil industriel - 1831».

[3]  L'enquête, en cas de réponse positive à la question préliminaire, comprenait vingt-sept autres questions portant sur les multiples aspects d'un système des brevets.

[4]  Quelques particuliers et la Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille.

[5]  Ce traité, qui comprend, à la différence de la plupart des publications antérieures, une partie historique et une partie sur la théorie des droits des inventeurs, fut réédité plusieurs fois. Voir en archive la quatrième édition : «Traité des Brevets d'Invention», Renouard - 1844.