Controverses du XIXème siècle
sur la «Propriété Intellectuelle»

 

Augustin-Charles Renouard, «Théorie du droit des auteurs sur les productions de leur intelligence», Revue de Législation et Jurisprudence, t. V, 1836-1837.

Augustin-Charles Renouard, Traité des droits d'auteur dans la littérature, les sciences et les beaux-arts, tome 1, Jules Renouard, Paris, 1838.

Origine : Bibliothèque Nationale de France - Gallica

Ces deux textes représentent la première formulation systématique de la théorie d'Augustin-Charles Renouard sur les «droits des auteurs». Le premier est la publication d'une présentation de cette théorie faite à la séance du 7 janvier 1837 de l'Académie des Sciences Morales et Politiques, la même théorie étant reprise ensuite par Renouard, avec des additions mais sans changement théorique notable, dans le premier tome de son monumental Traité des droits d'auteur dans la littérature, les sciences et les beaux-arts de 1838.

Au moment où ces textes sont publiés, la querelle des propriétés littéraires bat son plein. La réforme de la loi existante est une fois de plus à l'ordre du jour, discutée dans plusieurs commissions, commission Salvandy de 1839, commission Villemain de 1841; et fait l'objet de plusieurs débats parlementaires, en 1839 à la Chambre des Pairs, en 1841 à la Chambre des Députés. Le but recherché par les partisans de la «propriété littéraire» est alors l'allongement de la durée des droits des héritiers après la mort de l'auteur, de 20 à 30, ou 50 ans, ou jusqu'à la perpétuité, en reconnaissant et proclamant hautement alors que cette «propriété littéraire» est une propriété pleinement assimilable à la propriété ordinaire. C'est en 1838 le débat du moment à la commission Salvandy, un débat auquel Renouard membre de cette commission participe d'ailleurs activement; et cette commission, qui au départ proclamait la perpétuité devait finalement rédiger un projet de loi qui ne prévoyait d'allonger la durée des droits que 30 ans après la mort de l'auteur, le rapporteur du projet de loi à la Chambre des Pairs déclarant d'ailleurs au nom de la commission qu'il n'y avait pas là une propriété, mais un simple privilège.

Le terme «propriété» signifiait à l'époque pour tous les juristes un droit absolu et perpétuel (selon la définition de l'article 544 du code civil), un concept clair et non problématique pour les biens matériels ou les terres, mais qu'il était bien plus problématique d'appliquer aux idées, aux productions intellectuelles, aux œuvres littéraires ou artistiques, aux inventions, etc. Pour traiter des propriétés littéraires, il n'y avait alors pour les juristes que trois solutions théoriques possibles : (1) Traiter de ces biens immatériels comme de biens matériels, en assimilant les deux, et critiquer le droit positif en revendiquant la perpétuité refusée jusqu'ici aux auteurs pour leurs propriétés littéraires; c'est la position que défendaient d'Edouard Laboulaye, Charles Comte, etc.; (2) Parler ici d'une propriété à caractère spécial en défendant la sagesse du droit positif existant, qui depuis 1777 reconnaissait qu'on pouvait être temporairement propriétaire de choses dépourvues de corps; une position largement majoritaire, que représentaient en particulier Demolombe et Adrien Gastambide; (3) Conclure enfin, pour conserver et défendre la caractère absolu de la propriété, à l'abandon du vocable «propriété» pour les droits des auteurs, en sortant donc ces droits du giron de l'article 544, et théoriser un droit nouveau, sui generis, le «droit d'auteur». C'est la solution retenues par Raymond-Théodore Troplong et Augustin-Charles Renouard, une solution qu'il expose dans le détail dans les deux ouvrages cités ici.

 

Notice provisoire :

Pour une analyse plus détaillée, voir Mikhaïl Xifaras, La propriété, étude de philosophie du droit, 2004, et plus particulièrement la troisième partie.

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[1]  Le tome 2 (1839), essentiellement consacré au droit positif et à la jurisprudence est disponible lui aussi sur Gallica [lien]