Controverses du XIXème siècle
sur la «Propriété Intellectuelle»

 

Augustin-Charles RENOUARD

Avocat, magistrat, homme politique.

Né le 22 octobre 1794, à Paris, mort le 17 août 1878. Fils d’Antoine Augustin Renouard [1765-1853], célèbre libraire, imprimeur, bibliographe et collectionneur.

Admis à l’Ecole Normale Supérieure en 1812, il suit les cours de Victor Cousin et de Villemain. Docteur ès-lettres en 1814, sa thèse française porte sur Le style des prophètes hébreux, sa thèse latine sur De Identitate personali. Licencié en droit en 1816, il exerce au barreau de Paris. Certaines de ses plaidoiries seront publiées.

Secrétaire de la Société pour l’instruction élémentaire, et de la Société de morale chrétienne, il publie des Eléments de morale en 1818, des Considérations sur les lacunes de l’enseignement secondaire en France en 1824, et des extraits traduits de Benjamin Franklin (Mélanges de morale, d'économie et de politique) la même année.

Il s’engage aux côtés des libéraux, participe à la création du Globe dont il devient l’avocat et dans lequel il écrit régulièrement entre 1825 et 1827, et participe à la société Aide-toi, le ciel t’aidera ! de Guizot pour soutenir les candidats libéraux aux élections de novembre 1827. Nommé conseiller d’État après la Révolution de 1830, il devient secrétaire général du ministère de la Justice (1831), puis conseiller à la Cour de Cassation (1837). Député de la Somme, 4ème collège à Abbeville, en juillet 1831, il siège au centre-droit ministériel. Il rapporte sur le projet de loi de 1833 sur l’enseignement primaire, et les projets de loi de mai 1840, puis mars 1841, sur le travail des enfants. Battu aux élections en 1842, élu pair de France en 1846.

Elu en 1861 à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, il prend une part active à ses travaux, en est le vice-président en 1867 et le président en 1868. Il est aussi membre de la Société d’économie politique.

Opposé au Second Empire, il conserve néanmoins ses fonctions de Conseiller à la Cour de Cassation, et reçoit en 1869 le titre de Conseiller honoraire, il devient Procureur général en avril 1871. Nommé sénateur inamovible en 1876, il siège au centre gauche, et vote avec les républicains conservateurs. Il meurt le 17 août 1878.

Durant toute sa vie, Renouard s’attache à concevoir le droit de la création immatérielle. Les étapes de ce projet sont la publication du Traité des brevets d’invention, de perfectionnement et d'importation en 1825, du Traité du droit des auteurs, dans la littérature, les sciences et les beaux-arts en 1838-39 (d’abord publié en 1837 dans la Revue de Législation et de Jurisprudence), une seconde édition entièrement renouvelée du Traité des brevets d'invention en 1844. L’exposé définitif de sa théorie est publié en 1860 sous le titre Du Droit industriel dans ses rapports avec les principes du droit civil sur les personnes et sur les choses. On lui doit aussi un Traité des faillites et des banqueroutes en 1842, réédité en 1857.

Renouard est peut être le premier à utiliser le terme «droit d’auteur». C’est sans doute le premier théoricien de la chose, et certainement le principal artisan de son adoption en droit positif français. Parce qu’il défend l’idée que le droit des créateurs n’est pas un droit de propriété, il fait obstacle avec succès à la confusion des régimes des biens matériels et immatériels aussi bien qu’à l’usage, dans la législation et dans la jurisprudence de la Cour de cassation, de l’expression «propriété littéraire et artistique» à laquelle il préfère «droit des auteurs et inventeurs», qu’il conçoit comme l’allocation d’un monopole temporaire en rémunération du service que le créateur rend à la société. Ainsi, le projet de loi «sur la propriété littéraire» porté par la commission Salvandy en 1839 devient par son action la loi relative «aux droits des auteurs sur leur production dans les lettres et dans les arts». De même, en avril 1841, le projet de loi porté par Lamartine visant à reconnaître la perpétuité de la propriété littéraire est rejeté par 154 voix contre 108[1]; et la loi du 14 juillet 1866 renforçant les droits des veuves et des enfants se contente d’évoquer le «droit des auteurs». Hommage posthume, la Cour de cassation consacre la doctrine de celui qui fut son premier procureur dans un arrêt du 22 juillet 1887 qui abandonne explicitement la théorie de la propriété et définit le droit d’auteur comme «privilège exclusif d'exploitation commercial temporaire». Il faudra attendre la loi de 1957 pour que les droits des auteurs soient de nouveau qualifiés de «propriétés».  

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[1]  Renouard est très actif dans les débats, intervenant dès le début de la discussion avec d'autres : Berville, Lestiboudois, Portalis, Dubois, pour contrer la proposition de Lamartine d'étendre à cinquante ans, en attendant de pouvoir dire "toujours", le privilège d'édition accordé aux auteurs. La séance d'après, le ministre, Villemain, doit venir s'expliquer, se défendant d'avoir utilisé dans le texte de la loi le terme "propriété", s'étant borné à écrire "droit exclusif", un droit qu'il a bien posé comme "temporaire"; et, pour calmer les esprits, il propose de réduire à trente ans la durée de ce droit exclusif, ce qui, pour les députés, est encore trop. La discussion se poursuit alors, et le titre "loi sur la propriété littéraire" se change alors, d'un jour sur l'autre suivant le président de séance, en "loi sur les droits des auteurs"...

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Sources :  Alfred Bertauld. M. Le procureur général Renouard, discours de rentrée à l'audience solennelle de la Cour de Cassation, Marchal, Billard et Cie, Paris, 1879; Lucien Jeny. Le procureur général Renouard, discours de rentrée à l'audience solennelle de la Cour d'appel de Bourges, 4 novembre 1884; Georges Picot. Notice historique sur la vie et les travaux de Charles Renouard, Compte-rendu des séances et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, 1902, vol. 157, p. 49-92; Gustave Vapereau. Dictionnaire universel des contemporains. Hachette. 1870; Annuaire des anciens élèves de l’École normale, 1879; Adolphe Robert, Edgard Bourloton et Gaston Cougny. Dictionnaire des parlementaires français. Paris. 1891; Jean-Jacques Goblot. Le Globe, 1824-1830. Documents pour servir à l’histoire de la presse littéraire. Honoré Champion éditeur. Paris, 1993; Mikhail Xifaras, La propriété, étude de philosophie du droit, PUF, Paris, 2004, p. 343-477.