Controverses du XIXème siècle
sur la «Propriété Intellectuelle»

 

« Mémoire sur la situation actuelle de la contrefaçon des livres français en Belgique, présenté à MM. les ministres de l'Intérieur et de l'Instruction Publique par le comité de la Société des Gens de Lettres », Impr. E.Brière, 1841.

«  Reconnaissance internationale de la propriété littéraire, note présentée au gouvernement par les comités réunis de la Société des gens de lettres et de la librairie », Impr. Schneider et Langrand, 1841.

Origine : Archives Nationales   [F17-2652]

Dans ce mémoire adressé aux ministres de Louis-Philippe, le comité de la Société des Gens de Lettres[1] aborde deux questions : (1) le projet d'union douanière de la France avec la Belgique, (2) la question de la réimpression ou « contrefaçon belge ». Les auteurs signataires de ce mémoire, où figurent entre autres Victor Hugo et Balzac, sont par principe farouchement opposés à toute liberté de réimpression y compris en France, et leur revendication vis-à-vis des éditeurs belges n'est pas le paiement de redevances ou de droits d'auteur, mais la défense et l'extension de leur propriété, de leur droit exclusif, de leur monopole d'impression, de leur domaine privé contre un champ d'activité qui relève encore du domaine public ; ce qui tisse une alliance de fait, étroite, avec la librairie parisienne (voir la pétition conjointe). Reprenons ces deux points dans l'ordre.

(1) L'union douanière :

Vers 1841, la Belgique, indépendante depuis 1830, est encerclée par des barrières douanières[2]. Le risque pour la diplomatie française est celui d'un accord avec l'Allemagne, plus exactement avec l'union douanière allemande (le Zollverein), en plein essor depuis sa création en 1834. Des négociations officieuses, menées à partir de 1834, puis des pourparlers, en janvier 1840, s'engagent pour élaborer un nouveau traité de commerce, avec comme objectif, sur proposition française, la formation d'une union douanière : Toute barrière douanière disparaîtrait entre les deux pays avec adoption du tarif français comme tarif extérieur commun. Guizot s'empare de l'affaire en 1841, mais les négociateurs belges penchent plutôt pour un tarif franco-belge commun (le tarif français) en conservant toujours une barrière douanière entre les deux pays, plus une période de transition et une réduction à 10 % des droits de douane entre la France et la Belgique. Léopold, le roi des belges, ne veut pas en effet d'une union trop intime avec la France, à laquelle d'ailleurs les diplomaties de Londres et de la Prusse sont opposées.

L'information sur les pourparlers finit par filtrer en Belgique, reprise alors par la presse française, qui se divise sur la question. Les libres-échangistes comme Michel Chevalier dans le Journal des Débats ou Wolowski dans Le Siècle vantent les avantages de l'union douanière ; mais les partisans du « travail national » soulignent les difficultés pour eux insurmontables d'un tel projet d'union ; l'opposition par ailleurs des milieux industriels s'organise et grandit. Les industries du bois, des fers et de la fonte sont contre le projet d'union, hostiles même à toute réduction des tarifs ; seuls les producteurs de vin penchent pour celle-ci ; le gouvernement est lui-même divisé, et le projet, encore invoqué ça et là jusqu'en 1845, est très vite abandonné (sans doute dès le mois d'août 1841) pour une simple renégociation des tarifs existants.

Au cours de ces négociations commerciales, les français espéraient pouvoir insérer dans le traité une clause sur la contrefaçon littéraire, comme il l'avait déjà fait dans le traité de commerce signé avec la Hollande le 25 juillet 1840 ; et le gouvernement belge envoya même à Paris un négociateur officieux, le libraire Hauman, pour discuter directement avec les principaux éditeurs et écrivains de Paris. Il proposa, au nom de la librairie de Bruxelles, un compromis : la fusion des deux territoires en un seul marché auquel les libraires belges et français pourraient accéder de la même manière avec respect de la propriété littéraire des uns et des autres, et le maintien sur les marchés tiers du régime de concurrence et de la liberté de réimpression ; les éditeurs belges auraient pu ainsi conserver leur point fort, c'est-à-dire leurs réseaux et leurs positions commerciales sur l'ensemble des marchés européens. Les libraires belges demandaient aussi le versement d'une indemnité pour aider à la reconversion de l'économie de la réimpression de la Belgique.

(2) La question de la « contrefaçon belge » :

Sur l'activité de réimpression des libraires de Bruxelles, le jugement des auteurs de la Société des Gens de Lettres est une condamnation sans appel ; ce qui n'est pas nouveau car ils jugent de manière permanente que c'est une industrie « odieuse, coupable et illicite ».

Le mémoire prétend même que « tous les publicistes ont unanimement condamné la contrefaçon », c'est-à-dire « reproduire un livre sans l'assentiment de ses auteurs » (p. 4). C'est manifestement exagéré, et même une contre-vérité, puisqu'en France même à l'époque, on trouve facilement des gens qui se prononcent en faveur des réimpressions de Bruxelles[3] ; mais ce n'est guère surprenant puisque les auteurs membres de cette Société des Gens de Lettres (dont Victor Hugo et Balzac) militent justement pour la reconnaissance immédiate par la loi française de la propriété littéraire de tous les auteurs étrangers, sans condition de réciprocité, en critiquant le choix du gouvernement et de la commission des contrefaçons de la librairie française de 1836-1837 de n'accorder cette reconnaissance que « sous réserve de réciprocité » comme un moyen terme, « peu digne de la France »[4].

Le mémoire retrace l'histoire récente de la réimpression (ou contrefaçon) en Belgique. A l'origine, il y a la paix de 1815 et l'abolition du décret napoléonien de 1810 qui fixait et limitait le nombre d'imprimeurs et de libraires. Le roi Guillaume, en « négociant habile et plein de sollicitude pour ses états », devait à l'inverse instaurer dans le nouveau royaume des Pays-Bas un régime de concurrence, avec pleine liberté d'installation ; il encouragea par ailleurs les progrès de l'imprimerie, de la fabrication du papier, et l'activité de réimpression des ouvrages français, au premier chef des ouvrages juridiques et des ouvrages d'éducation. Mais c'est seulement dans les années 1830, après la révolution et l'indépendance belge, que les exportations des éditeurs belges prirent réellement leur essor. « Les frères Hauman se mirent à explorer les divers états de l'Europe, et cherchèrent partout des débouchés ; Wahlen envoya des agens jusqu'en Suède et en Norvège, tandis que Méline, mettant à profit son origine et ses relations, faisait accepter ses produits dans la plupart des états de l'Italie » (p. 6-7).

Le texte donne quelques éléments statistiques sur les progrès et l'importance de cette industrie, comme le nombre d'imprimeries à Bruxelles : en 1815, 20 seulement (avec 27 presses) mais en 1838, 53 (avec 229 presses, dont 9 mécaniques et 3 mues à la vapeur). Il chiffre aussi l'importance de la réimpression des ouvrages français et analyse les catalogues des firmes les plus importantes spécialisées dans la réimpression ; les ouvrages français dominent de manière écrasante dans la production belge (p. 11), la contrefaçon s'attaquant plus spécialement aux auteurs renommés (voir une liste p. 16-17). « Les œuvres de Victor Hugo, Lamartine, Casimir Delavigne, Alexandre Dumas, Béranger, Balzac, Barthélemy et Méry, ont été réimprimées de mille manières, par œuvres détachées ou en œuvres complètes et sous tous les formats, depuis l'in-8° grand raisin jusqu'au microscopique in-64°. Les Méditations de Lamartine, les Orientales de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, et le Théâtre de cet auteur sont les ouvrages qui ont obtenu le plus grand nombre d'éditions ; huit ou neuf. Les éditeurs belges ont vendu plus de 30,000 exemplaires des Chansons de Béranger, surtout sous la Restauration, à cause des chansons prohibées que contenaient leurs éditions », etc. (p. 17). Les revues, la Revue de Paris, la Revue des Deux Mondes, la Revue Britannique, La Gazette des Tribunaux, Le Charivari ne sont non plus épargnées.

En 1836, plusieurs sociétés de capitaux se sont d'ailleurs constituées pour exploiter à très grande échelle la réimpression des productions de la librairie française : (1) La Société typographique belge (Wahlen et Cie), au capital social de 1 500 000 F ; (2) La Société belge de librairie, imprimerie et papeterie (Louis Hauman et Cie), au capital social de 1 500 000 F ; (3) La Société d'imprimerie et de fonderie belge (Méline, Cans et Cie), au capital social de 1 700 000 F ; (4) La Société Encyclographique, au capital social de 1 000 000 F ; (5) La Société Catholique, au capital social de 1 000 000 F.

Les trois premières exploitent les différentes branches de la littérature et des sciences, les deux dernières ne s'occupant que des livres classiques ou de religion ; mais celles-ci, note le rapport, « ne luttent pas avec avantage contre les libraires de Besançon, de Limoges, de Lyon, de Nancy : car le succès de la contrefaçon n'a d'autre base que le meilleur marché des éditions belges sur les éditions françaises. Or, pour toute la littérature de piété, ces villes ont atteint les dernières limites du possible (...) De jolis petits livres d'heures de 400 pages, dorés sur tranche, reliés en basane, gaufrés sur les plats, et rehaussés d'or, sont vendus en Belgique au prix de un franc pièce, malgré le droit de 30 % qui frappe les livres français » (p. 10). Sans s'interroger sur le régime particulier des livres d'Eglise et l'absence presque totale de droits à verser aux auteurs, le mémoire critique au passage la librairie parisienne. « Nous regrettons vivement que la haute librairie n'ait pas suivi cette voie, qu'elle n'est pas compris que c'est le bon marché et la bonne fabrication qui assurent à tous les produits de plus grands débouchés » (p. 10)[5].

Il faut reconnaître, note le mémoire, que « les efforts des libraires belges, le bas prix de leurs éditions, les facilités qu'ils ont accordées aux acheteurs ont considérablement agrandi le marché des livres français, et ont fait naître le goût de la littérature française en des lieux et chez des classes où ce besoin n'était pas encore senti. C'est une conquête qui appartient en propre aux libraires belges... »(p. 10) ; mais cette conquête toute morale « est loin de satisfaire les auteurs lésés (...) Nous ne sommes plus au temps où la culture des lettres était un acheminement à de riches bénéfices ; les rôles des pensions, ouverts à la littérature et aux beaux-arts, se rétrécissent chaque jour d'avantage (...) Les Mécènes ne sont plus de notre époque. Tout homme aujourd'hui qui veut vivre de la vie intellectuelle doit être riche ou demander à sa plume le pain de chaque jour » (p. 11). Il faut donc penser aux intérêts matériels des auteurs et il serait souhaitable que le marché des livres soit agrandi pour la France, et que chaque auteur puisse alors retirer tout le profit possible de ses œuvres.

Le mémoire se prononce donc en faveur de l'union douanière. La proposition des libraires belges « de faire de la France et la Belgique, quant à l'exploitation industrielle des livres, un seul et même pays » ne saurait qu'être avantageuse aux auteurs et éditeurs français. Le résultat le plus probable serait une augmentation des revenus des auteurs, « soit qu'ils traitent directement avec un éditeur français ou belge pour la vente d'une édition générale, soit qu'ils vendent simultanément leur œuvre à un éditeur de Paris, pour l'exploitation de l'intérieur, et à un éditeur de Bruxelles pour l'exploitation du dehors » (p. 21) ; à cela il faut ajouter le gain des droits de reproduction dans les 68 journaux belges[6]. L'édition française gagnerait à la disparition de la « concurrence illicite » que représente aujourd'hui les réimpressions de Bruxelles, et ceci d'autant plus que l'analyse, affirme le rapport, montre que les coûts de fabrication en France et en Belgique sont sensiblement les mêmes ; le papier est vendu au même prix ; il en est de même pour le coût du tirage. Seule la composition est meilleur marché à Bruxelles (d'un tiers environ). « Mais il faut dire qu'un grand nombre d'éditeurs de Paris font imprimer leurs ouvrages à Sens, à St-Germain, à Versailles, à Dreux, à Troyes, à Sceaux, où la composition est moins coûteuse, et où quelquefois même , exécutée par des jeunes filles, elle n'est payée qu'à raison de 30c les 1,000 n [contre 50c à Paris]. D'un autre côté, lorsque les éditeurs belges opéreront sur des manuscrits, ils seront obligés d'élever leur prix car les ouvriers flamands sontntrès inhabiles à composer sur l'écriture à la main » (p. 24). Les termes sont donc à peu près égaux dans les deux pays. De surcroît la disparition des droits de douanes de 30 % devrait permettre d'augmenter les exportations de la librairie française vers la Belgique.

Favorable à l'union douanière, le mémoire refuse cependant la demande d'indemnisation (2 millions de francs) des libraires de Bruxelles pour les pertes qu'ils vont subir pour la liquidation de leurs stocks de réimprimés. Il demande par ailleurs au gouvernement de prévoir la création d'une Agence française chargée de surveiller à Bruxelles l'écoulement de ces stocks à l'extérieur de la future union douanière et d'assurer plus généralement le respect de la propriété littéraire des auteurs et éditeurs français ; et « pour qu'il y ait parité entre les deux pays, une Agence belge représenterait en France la propriété littéraire de la Belgique » (sic) (p. 33).

Le mémoire soulève par ailleurs le problème de la « contrefaçon clandestine »[7], en France même ou dans la future union douanière, ou inévitablement dans les autres pays à l'extérieur de la future union douanière. On peut prévoir en effet un déplacement de l'activité de réimpression. « Déjà, nous le savons, des industriels se préparent à organiser de vastes ateliers de contrefaçon en Suisse, où plusieurs ouvrages de notre domaine privé sont réimprimés ; ils n'attendent pour élargir leurs opérations que la conclusion définitive de nos arrangements avec la Belgique » (p. 29-30). Il appelle à un renforcement de la répression en France et même à un changement de la loi qui ferait de la contrefaçon non plus une simple contravention au droit commercial, mais un vol pur et simple passible de prison qui serait alors poursuivi d'emblée par l'autorité judiciaire et non plus à la requête de la partie lésée.

Il serait de plus souhaitable, « grand et honorable pour la France de déclarer de manière absolue et sans restriction que la contrefaçon des ouvrages étrangers est prohibée sur son territoire » (p. 28). On extirperait ainsi « du sol français la contrefaçon exercée, sur une grande échelle, par deux maisons seulement »[8], et on obtiendrait à l'instant même la protection de la propriété littéraire de la France dans tous les pays qui ont fait de cette protection une condition de réciprocité. On fortifierait alors le « principe moral » qui condamne partout la contrefaçon, en encourageant « les hommes de lettres et les éditeurs de tous les pays à réclamer sans relâche la reconnaissance publique de leurs droits et à protéger les nôtres » (p. 29).

Pierre-André Mangolte

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[1]   La Société des Gens de Lettres fut fondée à l'initiative de Louis Desnoyers, directeur du Siècle, pour défendre les intérêts communs des auteurs, avec en décembre 1837 une première assemblée générale réunissant de nombreux écrivains, dont Victor Hugo, Alexandre Dumas et Lamennais. Ses objectifs immédiats étaient de combattre la « contrefaçon intérieure », c'est-à-dire le « pillage des œuvres littéraires » par les libraires, les revues, les journaux, qui réimprimaient sans autorisation et sans paiement, et par tous ceux qui transposaient dans les mêmes conditions les œuvres littéraires au théâtre. La stigmatisation de la contrefaçon belge rentrait alors dans la même définition du domaine privé et de la propriété littéraire, avec la même volonté d'extension de ce domaine, contre l'idéal encore très présent à l'époque du « désintéressement » (voir par exemple le texte de Louis Blanc, Organisation du travail, 1847, et l'article de Sainte Beuve, « De la littérature industrielle », Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1839).

[2]  Sur ce point, voir Henry-Thierry Deschamps, La Belgique devant la France de Juillet, l'opinion et l'attitude françaises de 1839 à 1848, Les Belles Lettres, 1956, p. 103 et suivantes ; et Michel Chevalier, « De l'union commerciale de la France et de la Belgique » in Essais de politique industrielle, Gosselin, 1843, p. 327-350.

[3]  Ainsi le directeur de l'Ecole Normale Supérieure, Dubois (de la Loire-Inférieure), parlant à la tribune de la Chambre des Députés le 31 mars 1841 : « Quel bénéfice aurez-vous fait, quand vous aurez interdit ces contrefaçons. L'interdiction des contrefaçons est un obstacle même à la puissance de votre littérature. Ce qui a fait l'universalité de la langue française et répandu vos idées, ce qui fait qu'elles triomphent aujourd'hui sur tout le territoire continental, c'est précisément cette faculté de reproduction, cette reproduction à bas prix. J'avoue que pour un avantage qui est douteux (...), il me semble que vous allez mettre obstacle à la puissance de votre littérature à l'étranger, comme au perfectionnement de vos propres idées et de la science sur le territoire national ». Voir sur ce point Hen, De la réimpression, 1851, p. 69-70, et Dopp, La contrefaçon des livres français en Belgique, 1815-1852, 1932, p. 142-145.

[4]  Voir ci-dessus la pétition à la Chambre des députés : « Reconnaissance internationale du principe de la propriété littéraire... ». Cette position - la proscription immédiate, unilatérale et sans conditions, de toute réimpression non autorisée par l'auteur, français ou étranger - avait été défendue dans les deux commissions de 1836-1835 ( « commission des contrefaçons de la librairie française » (dite commission Villemain) et « commission sur la propriété littéraire » (dite commission Ségur) par la minorité (dont faisait partie Victor Hugo). A la Chambre des députés, elle fut soutenue par le Marquis de la Grange (séance du 31 mars 1841), à partir de l'idée « que la contrefaçon était un attentat contre un droit de propriété individuel » (à la différence de la contrebande qui n'affectait que les intérêts de l'Etat), et le même argument sur la forc d'entraînement de cette reconnaissance, découlant de la « la force d'expansion et [de] l'autorité propre » du principe moral. Mais son collègue Meilheurat lui rétorqua qu'il était dans l'erreur et l'illusion, en croyant au désintéressement et à la générosité du gouvernement anglais « qui accepte les avantages qu'on lui offre, mais n'en accorde autant qu'il y trouve son intérêt et son utilité », et l'amendement proposé fut rejeté.

[5]  Ce débat partage à l'époque toute la librairie : comment faire face de manière purement commerciale au défi représenté par les éditeurs de Bruxelles ? Et parallèlement, à la concurrence de la presse avec l'essor du roman feuilleton ? De nombreux projets sont alors présentés. On voit aussi se profiler le début d'une mutation dans l'activité des éditeurs ; certains s'inspirant des libraires belges en adoptant partiellement leur modèle économique, Ainsi Gervais Charpentier, ayant calculé que sur le marché français, où les réimpressions belges étaient exclues, il fallait, pour pouvoir vendre au même prix en rémunérant les auteurs, vendre trois fois plus, adopte le format des libraires de Bruxelles, le in-18° (la taille d'un livre de poche actuel), un format compact qui permettait de regrouper la matière de 2 ou 3 volimes in-8° vendus alors entre 7 et 7f 50 le volume. En 1838, il crée ainsi une collection, « la Bibliothèque Charpentier », dont tous les volumes, avec une même couverture jaune, étaient vendus au même prix, 3F 50, et celle-ci regroupera bientôt tous les auteurs romantiques. Plus tard en 1853, Louis Hachette devait lancer sur le même principe sa « Bibliothèque des chemins de fer » et Michel Lévy, deux ans plus tard, sa « Collection Michel Lévy » à 1F le volume.

[6]  Un autre avantage pour les auteurs est le fait q'ils « seront sûrs, par cette fusion, que leurs ouvrages circuleront partout, tels qu'ils sont écrits, sans coupures maladroites, sans notes apocryphes, sans interprétations frauduleuses » (p. 21).

[7]  Cette expression ne manque pas de sel. A force de traiter les éditeurs belges de « contrefacteurs », ce qu'ils ne sont pas, la réimpression à l'étranger des œuvres françaises, ou des œuvres étrangères en France étant alors une activité parfaitement légale, les auteurs de la Société des Gens de Lettres manquent subitement de vocabulaire. Il leur manque un terme pour désigner la « vraie » contrefaçon, la seule qui existe aux yeux de la loi. On voit alors surgir une contrefaçon « clandestine », celle, si on en croît le mémoire, de certains imprimeurs de province protégés par leur brevet et l'indulgence de la répression par les tribunaux, plus les éventuelles introductions sur le territoire des réimprimés belges, suisses, ou autres.

[8]  Les deux maisons en question sont la maison Baudry et la maison Galignani, qui pratiquaient à Paris la réimpression, en plus des classiques de la littérature, des productions les plus récentes des langues anglaise, allemande, italienne, espagnole et portugaise.