Controverses du XIXème siècle
sur la «Propriété Intellectuelle»

 

Henry Charles CAREY

Né à Philadelphie le 15 décembre 1793.

Son père, Matthew Carey, né à Dublin, était imprimeur et libraire. Persécuté pour avoir publié des pamphlets anti-anglais, il dut partir pour Paris, rencontra alors Benjamin Franklin, ambassadeur de la révolution américaine en France, et travailla pour lui comme imprimeur. De retour à Dublin, son activité de publiciste lui vaut de nouvelles poursuites et même la prison. Il finit par quitter Dublin pour les Etats-Unis en 1784 et, avec le soutien financier de Lafayette, crée à Philadelphie un journal The Pensylvania Evening Herald. En 1791, il s'établit comme éditeur et libraire, publie plusieurs journaux, et participe aux débats politiques. Il y défend en particulier des thèses néo-mercantilistes et industrialistes, et participe à la mise sur pied de la Society for the Etablishment of Useful Manufactures, qui essaye d'obtenir du gouvernement fédéral et des Etats, des mesures de politique industrielle (subventions et protections douanières), afin d'assurer, contre «le monopole commercial international anglais», l'indépendance économique de la jeune République.

En 1825, Matthew abandonne la direction de sa maison d'édition à son fils Henry Carey. Celui-ci, avec son associé et beau-frère Isaac Lea, en fait alors en quelques années une des plus importantes maisons d'édition de Philadelphie, et des Etats-Unis. A l'âge de 45 ans, devenu riche, Henry Carey, se retire des affaires en 1838 pour se consacrer à l'économie politique, devenant alors un auteur prolifique et une autorité en la matière aux Etats-Unis comme en Europe. Il avait déjà publié un Essay on the Rate of Wages (1835); suivi bientôt par The Principles of Political Economy (3 volumes en 1837, 1838 et 1839), The Credit System in France, England, and the United States en 1838, et un grand nombre d'articles et de brochures. Dans ces premiers écrits, il reprend les thèses libre-échangistes des économistes anglais, et critique en particulier de manière vigoureuse le tarif protectionniste de 1842, affirmant que ce tarif devrait avoir comme conséquence une crise économique prolongée. Mais ayant pu constater à l'inverse que les résultats en étaient plutôt positifs pour la croissance de l'économie américaine, il change totalement d'opinion, et à partir de 1848 se fait l'avocat du protectionnisme dans de nombreux articles et plusieurs journaux, dont The Tribune de New York, dont il est un contributeur régulier de 1848 à 1857.

La pensée économique aux Etats-Unis était à l'époque dominée par les thèses de Malthus et de Ricardo, défendues en Angleterre, après la mort de Ricardo, par James Mill, MacCulloch et Senior. Mais les lois de population de Malthus, la théorie du salaire de subsistance (low wages), la théorie de la rente de Ricardo, sa loi des rendements décroissants de la terre, enseignées alors comme des vérités universelles, semblaient pourtant largement inadaptées au contexte américain, car ici il y avait une terre abondante et apparemment sans limite, une population salariée moins nombreuse, des salaires inévitablement plus élevés, une société plus démocratique et une grande mobilité sociale, en parfait contraste avec les traditions aristocratiques et la rigidité de la structure des classes de la Grande-Bretagne.

Comme Carey l'écrivait lui-même dans Harmony of Interests (1852) : «Two systems are before the world. One looks to increasing the necessity of commerce; the other to increasing the power to maintain it. One looks to underworking the Hindoo, and sinking the rest of the world to his level; the other to raising the standard of man throughout the world to our level. One looks to pauperism, ignorance, depopulation, and barbarism; the other to increasing wealth, comfort, intelligence, combination of action, and civilization. One looks towards universal war; the other towards universal peace. One is the English system; the other we may be proud to call the American system, for it is the only one ever devised the tendency of which was that of elevating while equalizing the condition of man throughout the world».

Henry Carey va alors se livrer à un réexamen complet de la question économique, en reprenant les idées d'Alexander Hamilton (Report on Manufactures, 1791) et d'Henry Clay, l'avocat du Système (économique) Américain. Il fonde ainsi une nouvelle école en économie politique[1], en critiquant les thèses et dogmes de l'économie politique anglaise, comme les lois de population de Malthus et la théorie de la rente de Ricardo, qu'il déclare «universellement fausses» dans ses écrits post 1848, niant qu'il y ait inévitablement opposition entre la croissance de la population et des subsistances, entre l'homme et la nature, entre le capital et le travail, etc. Il développe alors une conception «optimiste» de l'évolution de l'économie dans ses différents ouvrages : The Past, the Present and the Future (publié en 1848), Harmony of Interests, Agricultural, Industrial and Commercial (1850), et Principles of Social Sciences (3 volumes, 1858-59).

Henry Carey devait rejoindre le parti Républicain à ses débuts dès 1856 et contribuer à définir à long terme la politique économique des Etats-Unis, avec un usage constant du protectionnisme de la guerre civile aux années 1930 pour favoriser le développement du marché intérieur et des activités industrielles nationales[2]. Il s'oppose aussi franchement à l'esclavage (The Slave Trade, domestic and foreign (1853)), et est très actif pendant la guerre de Sécession aux côtés de Lincoln et de l'Etat fédéral. Il est membre en 1872 de la convention constitutionnelle de Pennsylvanie.

Il a aussi publié «Letters on International Copyright» (1853), «Letters to the President on the Foreign and Domestic Policy of the Union» (1858), etc.

Il est mort à Philadelphie le 13 octobre 1879.

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[1]  Sa critique de Ricardo et ses thèses sur l'harmonie des intérêts entre le capital et le travail ont d'ailleurs fortement inspiré les économistes français de l'époque, en particulier Frédéric Bastiat, qui lui emprunte beaucoup sans guère le citer (voir Gide et Rist, Histoire des doctrines économiques,1922, p 384).

[2]  Cette école américaine d'économie a trois points clefs à son programme : (1) L'aide au développement industriel, ce qui conduit au rejet du free trade. Seuls les Etats du Sud, liés à Manchester sont réellement à l'époque pour le libre-échange. Le but est la protection des «industries dans l'enfance» et la protection de celles soumises à une trop forte pression concurrentielle liées aux importations; (2) La création d'infrastructures physiques avec un financement ou des politiques spécifiques, afin d'accroître la vitesse du développement du commerce et de l'industrie, ce qui implique planification ou régulation au niveau fédéral (exemple typique, les chemins de fer); (3) La création d'infrastructures financières : une Banque nationale soutenue par le gouvernement; la régulation du crédit; l'émission monétaire (greenbacks, etc.). Ainsi à la fin de la guerre civile en mars 1865, Henry Carey publie une série de lettres adressées au Président («The Way to Outdo England Without Fighting Her»), où il propose, pour permettre la formation d'un capital national indépendant, de rester à l'écart de l'étalon or (et sterling) et de poursuivre l'émission fiduciaire au niveau fédéral, sans laquelle pour lui l'Union risque de disparaître complètement. Voir aussi «American School (economics)» sur Wikipedia.

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Sources : Duyckinck & Duyckinck, Cyclopaedia of American Literature, 1856 et 1875; The National cyclopaedia of American biography, 1898; Kaplan, A. D. H., Henry Charles Carey, A study in American Economic Thought, The John Hopkins Press, Baltimore, 1931.