Controverses du XIXème siècle
sur la «Propriété Intellectuelle»

 

Recueil industriel, manufacturier, agricole et commercial, n° 38 (février), n° 39 (mars), et n° 40 (avril 1830).

Origine : Bibliothèque Nationale de France

La législation révolutionnaire sur les brevets d'invention a fait l'objet d'aménagements et de tentatives de réforme continuels. Or, sous le règne de Charles X, le nombre de brevets délivrés commence à augmenter rapidement : plus de 270 brevets sont pris en moyenne chaque année entre 1825 et 1829 contre 144 durant le quinquennat précédent. Cette accélération et la persistance des critiques conduit le ministre du Commerce, le comte de Saint-Cricq, à convoquer une commission chargée de préparer une révision de la législation sur les brevets en octobre 1828.

Présidée par le député Girod (de l’Ain), cette commission comprenait des grands noms de l’industrie (tel Ternaux ou le mécanicien Molard aîné), du droit (comme Charles Renouard ou Théodore Régnault) ou de la science (le chimiste Thénard y participe). Devant la complexité du problème, la commission entreprend une vaste consultation auprès des chambres de commerce, des conseils de prud'hommes et des sociétés savantes. Le résultat de cette enquête est publié, en trois livraisons, dans le Recueil industriel, manufacturier, agricole et commercial, lancé par Jean-Gabriel-Victor de Moléon, important acteur du développement des revues techniques au début du XIXe siècle. Les réponses fournissent un excellent témoignage sur les usages du brevet d'invention et sur les appréciations que les contemporains pouvaient porter sur la législation révolutionnaire.

De fait, les résultats de l'enquête laissent apparaître un attachement nuancé et différencié au brevet d'invention. Rares sont ceux qui, à l'instar de la Société des sciences et des arts de Lille, réclament purement et simplement sa suppression au profit d'un système de récompenses[1]. Au contraire, la plupart s'accordent sur le fait que les brevets constituent le meilleur moyen pour conférer aux inventeurs des droits particuliers. Sur bien d'autres points, cependant, les avis divergent plus franchement. L'examen préalable est réclamé par les chambres de commerce de Boulogne, de Montpellier et de Tours mais il est rejeté par celles de Lyon, de Marseille et de Paris. L'éclatement des points de vue est encore plus important sur la question du contentieux et des juridictions qui doivent le traiter. Ces différences ne se justifient pas toujours par des facteurs géographiques, deux institutions de la même ville pouvant défendre des avis contraires. Ainsi le conseil des prud'hommes de Tours prend-il le contre-pied de sa chambre de commerce sur la question de l'examen préalable. De même, alors que le conseil des prud'hommes de Lille exige la suppression de la taxe, la Chambre de commerce, elle, se prononce pour son maintien. De ce fait, l'enquête de 1829 permet aussi de faire une lecture sociale de la pratique de la propriété industrielle.

La chute de Charles X interrompt le travail de réforme initié par Saint-Cricq. Toutefois, une nouvelle commission se met en place en 1832 à l'initiative du ministre du Commerce de l'époque, le comte d'Argout. C'est cette commission qui propose un projet de réforme sur les brevets d'invention en 1837, lequel ne sera porté devant les chambres qu'en 1843. Au total, la genèse de la loi de 1844 sur les brevets aura pris quinze années.

Gabriel Galvez-Behar

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[1]  Voir aussi la contribution d'Antoine-Benoît Vigarosy, défendant lui-aussi cette même position : «Considérations et opinion sur cette question...» (1829).