Controverses du XIXème siècle
sur la «Propriété Intellectuelle»

 

Isambart Kingdom BRUNEL

Ingénieur civil et entrepreneur.

Né à Portsea (Hampshire) en 1806, fils unique de Marc Isambart Brunel, un émigré français naturalisé américain installé en Angleterre, et de Sophie Kingdom, une anglaise, il fait ses études en France, au collège de Caen, puis au lycée Henri IV. Il est ensuite apprenti à Paris chez Louis Bréguet, horloger et physicien.

En 1822, il retourne en Angleterre pour intégrer l’entreprise de son père. Celui-ci était en effet un ingénieur civil renommé établi à Londres. C'était aussi un inventeur, qui mit au point le tunnelier et son bouclier, et prit alors un patent avec Lord Thomas Cochrane en janvier 1818. Cette invention lui permet d’entreprendre la construction du Tunnel sous la Tamise[1], un chantier ouvert en 1825. Isambart Kingdom Brunel, âgé de vingt ans, travaille alors s comme chef assistant ingénieur auprès de son père au Tunnel sous la Tamise. Mais en janvier 1828, un accident grave, avec inondation complète du tunnel, provoque la mort de plusieurs ouvriers. Le jeune Brunel est lui-même blessé gravement.

Après sa convalescence, il commence à voler de ses propres ailes : construction de docks et de nombreux ponts, dont le plus connu est le Clifton Bridge, un vertigineux pont suspendu traversant la vallée de l'Avon à Bristol, qui représentait un record lors de son inauguration, celui de la plus longue portée au monde. La construction commença en 1834, mais des problèmes de financement, interrompant périodiquement les travaux, firent que ce pont ne fut finalement terminé qu'après la mort de Brunel.

En 1833, Isambard Brunel est nommé ingénieur en chef du Great Western Railway, la ligne de Londres à Bristol. C'était un projet très ambitieux, la ligne la plus longue jamais construite à cette époque. Il fallut vaincre de nombreuses oppositions, car le projet fut contesté et très discuté, avant d'être adopté. La patience, la maîtrise des détails, et l'entregent politique de Brunel firent des miracles. Sa réputation rassurait les investisseurs; les fonds affluèrent. Il fallait aussi résoudre de grands problèmes techniques, et réaliser une série d'ouvrages impressionnants, franchir deux fois la Tamise, construire de nombreux viaducs, des gares, des tunnels, dont le Box Tunnel, encore un record, puisqu'il s'agissait du plus long tunnel jamais construit pour un chemin (3,2 km), etc. En 1841, les travaux s'achevèrent et le premier train joignit Londres et Bristol.

Pour cette ligne, Brunel avait imposé aux investisseurs l'utilisation d'un grand écartement (7 pieds soit 2,14 m) qui, selon lui, après calcul, représentait la taille optimale, donnant la plus grande vitesse, la meilleure stabilité et le maximum de confort aux passagers, ainsi que le meilleur choix pour les marchandises. Cette décision suscita la polémique, l'écartement plus étroit (4 pieds 8½ pouces), dont l'origine remontait aux chemins de fer miniers, et que George Stephenson avait conservé, étant en effet celui qu'avait déjà adopté la presque totalité des chemins de fer britanniques. Quand il fallut accorder de nouvelles concessions en Angleterre et en Irlande, le problème des écartements se reposa au Parlement, et en 1845, une Commission Royale, malgré des tests favorables à l'écartement large du Great Western Railway, recommanda l'écartement de Stephenson (Gauge Act de 1846); et en 1892, cet écartement fut officiellement adopté comme norme obligatoire en Angleterre[2].

Quand les directeurs du Great Western Railway s'inquiétaient de la longueur inhabituelle de leur ligne, Brunel leur rétorquait : «Pourquoi ne pas l'allonger encore, en établissant une liaison régulière avec New York au moyen d'un vapeur qu'on appellerait le Great Western ?». Poursuivant cette idée, il arriva à convaincre les investisseurs et entreprit la construction de trois grands bateaux à vapeur, trois défis techniques pour l'époque.

Le Great Western, qui prit la mer en 1837, était un navire en bois, à voiles et à vapeur, propulsé par des roues à aubes, qui permit d'établir une liaison tranasatlantique régulière entre Bristol et New York. La traversée aller-retour de l'Atlantique ne demandait alors que 29 jours (contre deux mois pour un voilier ordinaire). Le Great Britain (1843) était un projet plus ambitieux, construit entièrement en fer et propulsé – une innovation[3] – au moyen d'une hélice, et non par des roues à aubes. Le dernier, The Great Easthern, qui devait s'appeler au départ le Leviathan, fut un des échecs les plus spectaculaires de Brunel. Ce navire devait être plus grand que tous ses prédécesseurs (213 m de long), étant destiné à des traversées vers les Indes et l'Australie, et donc capable d'emporter dans ses soutes le charbon nécessaireà une traversée aller-retour. Il était par ailleurs aménagé avec le plus grand luxe, étant prévu pour transporter plus de 4000 passagers. Lors de sa mise à flot en 1854, ce navire était d'ailleurs regardé par tous comme une des merveilles de ce nouveau monde qu'avait créé la révolution industrielle. Mais ce fut dès l'origine un échec commercial. La construction avait pris du retard, le budget initial fut dépassé, les coûts ayant été très largement sous-estimés; et l'exploitation elle-même ne fut jamais réellement rentable[4].

Isambart Kingdom Brunel, quelques jours avant le premier voyage transatlantique du Great Eastern, est victime d'un accident vasculaire cérébral. Il meurt dix jours plus tard en 1859, à l'âge de 53 ans.

Elu membre de la Royal Society en 1830, vice-président de l'Institution of Civil Engineers et de la Society of Arts, membre de plusieurs autres sociétés savantes, chevalier de la Légion d'honneur.

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[1]  Ce tunnel, intégré aujourd’hui au réseau du métro londonien, est long de 396 mètres (11 m de large sur 6 m de haut). C’est le premier tunnel, passant sous une rivière navigable, construit avec succès. Le financement étant le fait d’investisseurs privés, une société, la Thames Tunnel Company, fut fondée en 1824. Les travaux commencèrent en 1825 et furent émaillés par de nombreux incidents et accidents. Ils durent d'ailleurs être interrompus à la fin de l’année 1827 pour une période de sept ans, le tunnel ayant été totalement inondé par la rivière. Le tunnel ne fut finalement terminé qu’en 1841 et ouvert à la circulation des piétons en 1843.

[2]  Ce qui était réalisé depuis longtemps, un troisième rail ayant été ajouté sur la ligne du Great Western Railway pour permettre le passage des autres trains, et l'écartement large n'ayant pas été utilisé ailleurs. Une autre réalisation liée à cette ligne, intéressante sur le plan de l'innovation technique, est le chemin de fer atmosphérique d'Exeter à Plymouth. Des pompes à vide stationnaires, en aspirant l'air dans une conduite parallèle à la voie, remplaçaient la locomotive pour entrainer les trains. Mais ce fut un échec commercial.

[3]  Comme la Royal Navy lui demandait de procéder à des tests pour prouver la supériorité de l'hélice sur les roues à aubes, Brunel organisa une joute de remorqueurs sur la Tamise. Il fit construire deux remorqueurs identiques, de même puissance, l'un avec des roues à aubes, l'autre avec une hélice, lesquels durent tirer de manière opposée sur un cable les reliant l'un à l'autre, prouvant ainsi la supériorité du mode de propulsion par hélice.

[4]  Après l'échec de différentes tentatives d'exploitation commerciale pour le transport des passagers, le Great Eastern fut finalement utilisé pour poser des cables télégraphiques à travers les océans.

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Sources : Ellis R., Who's who in Victorian Britain, 1997, London, et «Isambart Kingdom Brunel _ Wikipedia».