Controverses du XIXème siècle
sur la «Propriété Intellectuelle»

 

Claude Frédéric BASTIAT

Economiste

Né à Bayonne en juin 1801 (le 11 messidor an IX), mort à Rome le 24 décembre 1850.

Fils d'un négociant qui le destine à la carrière commerciale, il fait des études au collège, est orphelin très jeune, et entre ensuite dans la maison de commerce d'un de ses oncles, établi à Bayonne. Propriétaire par héritage de domaines assez étendus dans les Landes (à Mugron), il s'occupe tout d'abord de leur exploitation.

Il devient ensuite en 1831, juge de paix à Mugron, et quelque temps après est élu membre du conseil général des Landes (1832). Il tentera d'ailleurs plusieurs fois de se faire élire, sous la monarchie de Juillet et sans aucun succès, à l'Assemblée Nationale. En juin 1840, il entreprend un long voyage d'études en Espagne et au Portugal où il voulait créer une compagnie d'assurances, mais l'entreprise échoue.

En 1844, il publie un article dans le Journal des Economistes, «De l'influence des tarifs français et anglais sur l'avenir des deux peuples», où il critique le protectionnisme comme «mauvais. Il enfante des maux absolus sans altérer la grandeur et la puissance relative des nations». La direction du journal lui demande de nouveaux articles. Il publie alors une Lettre ouverte à M. de Lamartine, lui reprochant des idées socialistes. Celui-ci lui répond, et le retentissement de cette polémique, le succès d'un troisième article «Sophismes», l'incite à des publications plus importantes.

Dans un voyage qu'il avait fait, après l'Espagne et le Portugal, en Angleterre, il s'était lié aux partisans du libre échange, O'Connell et Cobden. A son retour à Mugron en 1845, il traduit les discours de ceux-ci, et y ajoute une introduction intitulée : Cobden ou la Ligue, ou l'agitation anglaise pour la liberté des échanges.

Il cherche alors à provoquer un large mouvement en faveur de l'union douanière franco-belge, et plus généralement en faveur du principe de libre-échange. Il crée une Association libre-échangiste à Bordeaux, puis est à Paris un des fondateurs de l'Association pour la liberté des échanges, constituée sur le modèle de la Ligue de Manchester de Richard Cobden[1]. Pendant trois ans, jusqu'à la révolution de 1848, Bastiat se lance alors dans l'agitation en faveur de la liberté du commerce. Il crée un journal (Le libre échange), dont il est rédacteur en chef, où il publie des articles sur toutes sortes de sujets (réunis ensuite sous les titres Pamphlets et Sophismes économiques, 1845-1846). Il donne des cours et des conférences.

Après la révolution de février, il se rallie à la République. Il est d'ailleurs politiquement indifférent à la forme politique. Il est élu à l'Assemblée constituante en avril 1848, et réélu en mai 1849 à l'Assemblée législative, en tant que candidat du parti de l'Ordre. Il sera même vice-président au Comité des finances. Député, il soutient sans succès le droit de coalition pour les ouvriers, mais prêche la paix sociale et combat énergiquement les socialistes. Il publie en 1848 et 1849 différents pamphlets politiques (Incompatibilités parlementaire),et Baccalauréat et socialisme[2], où il demande la suppression de cet examen. Plus célèbre est sa discussion avec Proudhon, publiée au jour le jour dans La Voix du peuple; une discussion qui dura treize semaines et qui ne prit fin que quand ce journal fut interdit par le pouvoir.

Ayant contracté la tuberculose, il ne peut plus siéger régulièrement à l'Assemblée. Il part alors en Italie pour tenter de se rétablir et meurt à Rome en 1850.

Dans son ouvrage Harmonies économiques, paru cette année là, il cherche à démontrer la solidarité d'intérêts entre les hommes, les classes sociales et les nations, critiquant en particulier Malthus et Ricardo, pour avoir mis l'accent sur les dissentiments et les antagonismes, leurs doctrines impliquant selon lui «l'opulence progressive des hommes de loisir [et] la misère progressive des hommes de travail». Fervent catholique, Bastiat croyait en l'existence d'un ordre naturel dont il faisait le fondement de toutes ses doctrines. il rejetait donc Rousseau pour avoir cru que l'état social était une invention des hommes, ce qui plaçait trop haut la loi et le législateur, et ouvrait la voie au socialisme. Il affirmait donc : «La propriété est d'institution divine, [et] c'est sa sûreté ou sa sécurité qui est l'objet de la loi humaine»[3]; en ajoutant de surcroît «Si chacun s'occupe de soi, Dieu pense à tous».

Bastiat est surtout connu pour avoir repris sous une forme simple, claire et élégante les grands principes des théories des économistes qui l'ont précédé, Adam Smith, François Quesnay, Turgot, et surtout, nous dit Molinari[4], «Jean-Baptiste Say, Charles Comte et Dunoyer, qui furent ses guides et ses maîtres dans l'étude de l'économie politique». Il se distingue toutefois par quelques originalités : l'importance accordé aux services et sa conviction qu'il existe des rendements croissants dans l'agriculture comme dans l'industrie, ce qui le conduit à rejeter la théorie de la rente de David Ricardo, comme Carey avant lui. C'est donc un libéral «optimiste» (pour reprendre la classification de Gide et Rist (1922)) pour qui le rôle de l'Etat doit être strictement limité à «assurer le respect des personnes et des propriétés, la répression des fraudes, des délits et des crimes». Cet auteur, influent à son époque, est complètement passé de mode par la suite, dès la fin du XIXème siècle. Il est cependant redevenu populaire à partir de la fin du XXème siècle chez les économistes libéraux; et ses oeuvres sont très utilisées de nos jours par la droite américaine[5].  

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[1]  On trouvait dans cette association, présidée par le duc d'Harcourt, avec comme secrétaire général Frédéric Bastiat et un peu plus tard Charles Coquelin, toute l'école française d'économie. Ayant échouée à créer un mouvement d'opinion général en faveur du libre échange, l'Association pour la liberté des échanges devait disparaître en février 1848; ses membres prenant désormais comme cible les idées socialistes et communistes; et, comme nous dit Molinari (), «tous rivalisèrent de zèle dans cette croisade de la raison contre l'utopie. Tandis que Bastiat se servait de la première tribune venue pour combattre les sophismes et les illusions du socialisme, M. Michel Chevalier publiait, dans le Journal des Débats, ses courageuses et remarquables lettres sur l'organisation du travail; M. Wolowski allait réfuter M. Louis Blanc au Luxembourg ; M. Léon Faucher attaquait l'imprudent novateur dans la Revue des Deux-Mondes ; MM. Coquelin, Joseph Garnier, Fonteyraud, aidés de MM. Potonié et de plusieurs autres libre-échangistes dévoués, fondaient le club de la liberté du travail», etc.

[2] Bastiat est hostile au monopole de l'enseignement, au baccalauréat, et aux études classiques. Il voyait en effet dans l'étude du latin et dans l'enseignement classique universitaire l'école du communisme !

[3] Bastiat, «Propriété et loi», Journal des Economistes, 15 mai 1848.

[4] Molinari, «Frédéric Bastiat», notice nécrologique publiée dans le Journal des économistes, février 1851.

[5] Cf. Michael C. Behrent, «Bastiat, repère intellectuel de la droite américaine», La Vie des idées, 16 juin 2010.

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Sources : Robert et Cougny, Dictionnaire des parlementaires français,..., 1889-1891; Dictionnaire de Biographie française, 1936; etc.